Patrick Lemoine
Edito PH Mag, 2003, 8 : 98
In L’enfer de la médecine est pavé de bonnes intentions. Paris : Laffont, 2005.
Nous vivons décidément en absurdie !
Disposant en permanence dans notre cerveau d’une fantastique, d’une extraordinaire pharmacie naturelle qui distribue sans compter une quantité illimitée de drogues psychoactives, nous persistons à enrichir les dealers, nos jeunes continuent à se droguer et les prisons à se remplir. L’Homo est décidément tout, sauf sapiens (sage).
Les récents progrès de la science démontrent que nos neurones sont capables de produire et d’utiliser des drogues comme la morphine (endorphines), de la marijuana ou du haschich (anandamide), de la nicotine (acétyicholine), de la cocaïne et des amphétamines (dopamine), des tranquillisants et hypnotiques (endobenzodiazépines). Toutes ces endosubstances sont les stricts équivalents des fameux paradis artificiels. Toutes permettent d’activer le parc de loisirs de notre cerveau. Nous pouvons donc sans danger et dans la plus stricte légalité nous envoyer en l’air en stimulant notre « voie dopaminergique mésolimbique » (pardon pour le barbarisme)… et pourtant, nous absorbons des tas de saloperies sans nom, des poudres d’illusion.
Les moyens de fabriquer ces substances ? Rien de plus simple : un peu de sport par exemple ; quand un coureur de fond commence à fatiguer, a des crampes, se sent prêt à abandonner… S’il insiste un peu voilà « le deuxième souffle ». Il n’est que de se promener dans un vestiaire de marathoniens en fin de course : l’euphorie est de mise… tout le monde semble avoir gagné. Merci les endorphines ! Vous n’aimez pas le sport ? Essayez l‘amour : l’orgasme déclenche une cascade de plaisir chimique. Voyage garanti jusqu’au septième ciel… et sans retard dans les aéroports.
Quoi ! Vous n’aimez pas l’amour ?
Qu’à cela ne tienne !
Une symphonie inachevée ou non, un film avec Louis de Funès, un concert d’Ella Fitzgerald, le funk, le rap, le rock, le reggae, que sais-je, une partie de paintball, une randonnée en Corse, un match de ping-pong, un poème de Baudelaire, un défilé militaire, un coucher de soleil, une conférence de Bernard-Henri Lévy (là j’exagère), un p’tit air d’accordéon-musette… Yvette Horner… et un raton laveur.
Et pour clore, « L’idée d’un rosier ou un prénom de femme » que chantait Jacques Brel dans son Dernier Repas. Car il se pourrait bien que l’extatique tunnel de lumière que traversent les agonisants (et les rares) qui en sont revenus pour le raconter soient le fruit d’une intense fabrication in extremis de substances consolantes… et tranquillisantes avant le grand saut. L’ultime voyage.
Alors, me direz-vous, qu’est-ce qui nous empêche de nous autoshooter, pourquoi tant de gens se cament-ils, picolent, fument sans vergogne ? Pourquoi les réseaux de dealers, la SEITA et les ivrognes prospèrent-ils à l’envi ?
Il existe de nombreuses explications. Aucune n’est pleinement satisfaisante, mais la seule au fond, c’est la paresse. L’incommensurable fainéantise de tous les organismes vivants. Les animaux sont d’ailleurs pires que nous dans le domaine : donnez trop régulièrement des graines aux oiseaux qui viennent sous vos fenêtres, et ils perdront l’habitude de chercher leur nourriture… Il suffira ensuite que vous vous absentiez quelques jours en hiver pour que ce soit l’hécatombe. Le pli est vite pris, chez eux comme chez nous.
Du point de vue des synapses en effet, pourquoi se donner tant de mal à courir le marathon, à draguer, à se torturer les méninges alors que quelques milligrammes de poudre ou de fumée donnent sans effort un résultat immédiat ? Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes décrit un univers totalitaire où une drogue prétendue sans inconvénient, le soma, procurait à une population asservie tout le bonheur dont elle avait besoin.
La loi du moindre effort est un comportement universel, évident, logique, qui pousse à accomplir un minimum pour obtenir un maximum. Et en plus, ça s’apprend très facilement.
Griller une cigarette, boire un coup de trop, fumer un joint devant les enfants leur donne vite des idées.
« Grave » comme ils disent !
Mais alors, comment faire ?
Faudra-t-il instaurer une pédagogie de l’effort, pas de trente-cinq heures mais un vrai plein temps s’il s’agit de rechercher l’extase ?
Expliquer que le plaisir, ça se mérite, que tout bêtement le bonheur d’une victoire, quel que soit le domaine, ça demande de la préparation et de l’entraînement ? De la sueur et de l’huile de coude ! Prenez, moi, par exemple. Au hasard. La rédaction de cet article m’a demandé quelques efforts, quelques recherches, mais une fois fini… quel pied !
Génial, cet article ! Merci.