Commentaires sur la publication Association entre les habitudes de sommeil de la mère et les risques de décès in-utéro. Etude de cas-témoin (Association between maternal sleep practices and risk of late stillbirth: a case-control study) BMJ 2011; 342:d3403 http://dx.doi.org/10.1136/bmj.d3403
Description de l’étude
Il s’agit d’une étude parue dans le British medical journal (BMJ), en juin 2011. Elle analyse les habitudes de sommeil maternel (maternal sleep practice) et les risques de décès in utéro / enfant mort né (stillbirth)
Quelles est la question qu’on se posait?
Les décès in utéro sont un drame pour les familles, elles concernent une grossesse sur 200 dans les pays riches, et il n’y a pas eu beaucoup d’amélioration ces 20 dernières années.
Cette étude fait partie d’une étude plus large (Auckland stillbirth study) sur les facteurs de risque modifiables (santé et comportement maternel) de décès in-utéro ou pendant l’accouchement. L’hypothèse de départ était que les troubles de respiration (apnée du sommeil) pendant le sommeil et le fait de dormir sur le dos favorisait les décès in-utéro/ morts nés.
(dans la suite, gardons le terme “stillbirth” défini dans cet article comme décès in-utéro ou pendant l’accouchement, pour des grossesse de 28 semaines ou plus)
Comment est conçue l’étude
Pour faire cette étude, des chercheurs néo-zélandais ont étudié 155 femmes qui ont eu une stillbirth après 28 semaines de gestation (enfant sans anomalie congénitale, grossesse unique). Pour comparer, ils ont pris 310 femmes de caractéristiques similaires qui n’avaient pas eu de décès in utéro. Il s’agit de ce qu’on appelle un “case controlled study” ou, en français, étude cas-témoin.
Qu’est-ce qu’on cherchait
Les chercheurs ont recueilli les données suivantes
- ronflement
- somnolence pendant la journée
- position au moment de l’endormissement et à celui du réveil (côté gauche, côté droit, sur le dos, ou autre)
Ronflement et somnolence sont en fait des signes de troubles de la respiration pendant le sommeil (sleep disorder breathing, apnée du sommeil). Ils se sont intéressées à ces données sur plusieurs périodes :
- avant la grossesse,
- le dernier mois,
- la dernière semaine
- la dernière nuit de la grossesse.
Les données étaient recueillies soit pendant les semaines qui suivaient le décès foetal, soit, pour les cas témoins de chacune des 155 femmes, à la même période de grossesse.
Qu’est-ce qu’on n’a pas trouvé
Il n’a pas été trouvé de relation entre le risque de fausse-couche et le ronflement ni la somnolence maternelle.
Qu’est-ce qu’on a trouvé alors qu’on ne s’y attendait pas forcément
Les femmes qui ne se sont ni endormies, ni réveillées sur le côté gauche la veille avaient plus de risque de stillbirth (la veille du décès foetal ou la veille de l’interview des cas-témoins au même terme).
On observe la même tendance pour les femmes qui ne se sont ni endormies, ni réveillées du côté gauche le mois précédent (mais ces tendances ne sont pas statistiquement significatives).
En passant, les auteurs notent que le fait de se lever “souvent” la nuit pour aller aux toilettes est également associé à une diminution de risque de stillbirth
Ce que concluent les auteurs (et d’autres)
Les auteurs de cette première étude qui étudient les relations entre sommeil maternel et décès in-utéro/ morts nés concluent qu’il est nécessaire de confirmer rapidement ces résultats.
Dès la sortie de cette étude, les commentaire allèrent bon train.
La lettre d’actualité médicale électronique JIM http://www.jim.fr n’hésitait pas à affirmer que les femmes enceintes devaient dormir sur le côté gauche (21 juin 2011, non accessible)
Nos commentaires
Nous tenons à ce que les informations données aux femmes enceintes, et les interventions qui leur sont imposées proposées soient fondées sur des preuves, et analysées en considérant leur balance bénéfice-risque pour l’ensemble de la population ciblée. Or,
1. Cette étude ne montre absolument pas que c’est la position de sommeil qui est la CAUSE des décès
L’étude ne permet pas de savoir si c’est la position de sommeil de la femme qui est la cause des stillbirth. Cela pourraît aussi bien être le contraire (ou pas). Exemples d’hypothèses :
- le fait que quelque chose ne va pas (et qui va être cause de stillbirth) qui fait dormir les femmes dans telle position
- ou bien une cause commune entre stillbirth et position de couchage. “quelque chose” qui aurait deux effets : que la femme se couche dans telle position, et qu’il y a décès du bébé)
L’étude ne permet pas de distinguer la cause de l’effet. Cela a largement été relevé par les commentateur dont les “réponses rapides” ont été publiées dan le BMJ http://www.bmj.com/content/342/bmj.d3403/reply
2. L’étude ne permet pas de savoir si le fait de forcer les femmes à dormir sur le côté (gauche) a un effet sur la réduction des décès
Aujourd’hui, on ne sait absolumment pas ce que pourraient être les résultats d’une telle incitation.
Pour étudier cela, il faudrait par exemple prendre un groupe de femmes à qui ont dit de dormir sur le côté gauche, un autre auquel on ne dit rien, et comparer les résultats. Les résultats de ces études ne devaient pas porter uniquement sur les stillbirth, mais la santé générale et le bien être des femmes et des bébés.
Imaginons qu’une intervention (ex. incitation à dormir à gauche) sur un million de femmes évite 100 événements graves (ex. ici décès in utéro), mais génère des effets secondaires (“est associé à une augmentation des risques”)pour 10 000 femmes (je ne sais pas, moi, mal de dos handicapant pendant 6 mois). Eh bien, il faudrait le savoir avant de décider quoi que ce soit en politique de santé publique (campagne d’information) et au niveau individuel, n’est-ce pas?
3. Se souvenir des contraintes qui pèsent sur les femmes enceintes. Ne pas en rajouter si l’utilité n’est pas prouvée
La grossesse peut être plus ou moins contraignante, selon les femmes et leurs conditions de vie : fatigue, nausées, douleurs…
Les mesures de prévention sur les femmes enceintes, bien que motivées par les meilleures intentions du monde, sont elles-mêmes des contraintes qui viennent s’ajouter à celles existantes. Examens répétitifs, instructions sur l’évolution du poids, restrictions et obligations alimentaires en prévention de risques variés (surpoids, diabète, toxoplasmose, listériose…)
Nous demandons à ce que l’intérêt de l’ensemble de ces interventions pour les personnes concernées, dans leur ensemble, soit évalué. Aujourd’hui, ce n’est jamais le cas pour les femmes enceintes. On évalue par exemple l’intérêt d’une intervention isolée (ex. incitation alimentaire et d’hygiène de vie) pour prévenir une pathologie donnée. On ne l’étudie pas en combinaison avec toutes les autres mesures.
Une fois les bénéfices/risques des interventions sont connus, leur intérêt doit être évalués à l’échelle individuelle. Le “patient” prend la décision à partir des informations que lui fournit le professionnel de santé. Ce qui est important pour une personne (ex. tout faire pour éviter un risque prouvé, même si le risque est faible, même si il y un a impact sur sa qualité de vie) peut être de moindre importance pour une autre personne qui elle, privilégiera sa qualité de vie par rapport à la prévention d’un risque statistique. Elles auront toutes les deux raison.
4. Des instructions de position de sommeil alors qu’on aurait mieux fait de se taire, n’ai-je pas déjà entendu ça quelque part?
Un peu d’histoire de la puériculture.
Depuis le milieu des années 1990, les médecins ont sauvé un nombre important de vies de bébés. Environs 1000 par an, en France. En orchestrant des campagnes de prévention pour que les parents soient conscients que coucher les nouveaux-nés sur le ventre, c’est dangereux (risques augmentés de mort subite du nourrisson)
Réaction spontanée
Heureusement que les médecins sont là pour combattre les mauvaises habitudes des parents ignorants.
Oh…wait!
D’où venait cette tradition de coucher les bébés sur le ventre?
D.Dupagne (médecin), dans son article par ailleurs mémorable de 2009 sur La bulle médicale
De même, le dogme médical consistant à coucher les nouveaux-nés sur le ventre, fondé sur une simple hypothèse, a causé le décès de 1000 nourrissons par an pendant trente ans en France. Il aurait été préférable de vérifier le bien-fondé de cette recommandation avant de la généraliser.
http://knol.google.com/k/la-bulle‑m%C3%A9dicale#http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/quand-la-bulle-medicale-va-t-elle-50640
Analyse convergente de la part d’autres auteurs : L’art d’accommoder les bébés, 100 ans de recettes françaises de puériculture (G.Delaisi de Parseval, S. Lallemand), Ed. Poches Odile Jacob, 2001 pp 289
Vers les années soixante-dix, la position quasi-universelle dans le temps et l’espace du bébé couché sur le dos fut subitement remise en question, et même frappée d’interdit : on craignait l’étouffement du nourrisson en cas de régurgitation ou de vomissements. Les parents français se virent incités à opérer une première rotation — et le bébé se retrouva à plat ventre dans le lit
Bien.
On peut en trier conséquence qu’on aurait mieux fait de laisser les parents coucher leurs enfants dans la position dans laquelle les enfants ont l’air le mieux et si, les enfants s’en fichent, dans la position que les parents préfèrent — la tradition, c’est pas toujours le mieux, mais quand on ne sait pas ce qui est mieux, pourquoi pas.
Maintenant, on ne peut plus faire ça, il faut effacer des années d’instructions nocives et inciter le couchage sur le dos. Avec le retour de bâton pour certains enfants qui, manifestement, n’aiment pas cette position
- des parents qui forcent leur enfant à dormir sur le dos, alors qu’il est mieux sur le ventre ou sur le côté. Pauvre bébé.
- des parents qui font dormir leur enfant sur le ventre/côté car s’est la seule position qu’il supporte, mais eux, les parents, du coup, culpabilisent, stressent, ne dorment pas, dorment la peur au ventre. Pauvres parents.
- des parents qui contraignent leur enfant à rester sur le dos par des stabilisateurs ou d’autres moyens coercitifs, parce qu’on ne leur dit pas que bon, quand l’enfant sait se retourner, on peut arrêter. Pauvres enfants, pauvres parents.
Dans les années 1970, on aurait vraiment mieux fait de se taire. Dans les années 2010, on peut au moins apprendre de cette erreur.
En conclusion
Femmes enceintes, ne laissons pas les médecins nous dire de quel côté dormir. Dormons quand nous nous sentons le mieux (et vivons comme nous nous sentons le mieux, pendant qu’on y est)
(et si un jour on a une preuve formelle, indiscutable que se forcer à dormir sur la gauche a un effet global positif sur notre santé et celle de nos bébés, nous ferons nos choix de manière individuelle)