Danielle Rapoport, psychologue
Association « Bien-traitance, formation et recherches »
Si la prématurité est devenu un phénomène familier dans notre société en raison de sa fréquence et de sa médiatisation, la post-maturité reste peu abordée et garde une part importante de mystère. Être en terme dépassé est reconnu comme dangereux pour ce bébé attendu qui se fait attendre, mais les progrès techniques du déclenchement de la naissance en ont atténué les conséquences, et ont modifié le ressenti même du dépassement de dates, considérablement réduit par rapport à la fréquence de 5% d’il y a une quinzaine d’années.
Mais par-delà l’urgence médicale que nous allons évoquer, car il n’est pas question ici de la nier ou de l’ignorer, savons-nous entendre que, au-delà du déclenchement, le dépassement du temps peut avoir de multiples résonances, voire même des causes psychologiques ? Celles-ci sont d’autant plus complexes que les intérêts en jeu sont souvent contradictoires, selon qu’il s’agisse de la mère, du père, du bébé et des professionnels particulièrement concernés.
Comprendre ici qui est en fait « dépassé » par le temps, ce qui le suspend et retient l’accouchement ou la naissance, permet parfois bien d’autres réponses que le déclenchement lui-même. En témoigne la cicatrice d’un bec de lièvre sur la bouche de Michèle, maman de deux enfants nés post-maturément, ou le petit tombeau d’une sœur aînée pour Noémie, qui avait occulté une première grossesse et retenu la naissance de son deuxième enfant.
La post-maturité : la nécessaire attention médicale, l’indication d’un déclenchement
Le nouveau-né post-mature étonne la maman et son entourage. Sa peau est pâle, craquelée, desquamante et sans vernix. Elle peut même présenter une coloration verdâtre par une imprégnation méconiale, et elle apparaît avec une couche adipeuse sous-cutanée réduite. Les ongles et les cheveux sont longs. En l’absence de pathologie neurologique grave, le bébé garde les yeux grands ouverts et ce regard, très éveillé pour ses proches, témoigne de la maturation avancée de sa vigilance.
Mais pour un enfant qui risque de naître après 42 semaines d’aménorrhée, les non professionnels et les parents ignorent souvent que non seulement ce ne sera pas un gros bébé, mais que l’hypotrophie est souvent associée à la post-maturité. En effet, la prolongation de la grossesse entraîne une réduction du gain pondéral en raison d’une insuffisance placentaire, et donc d’une baisse du TaO2 placento-foetal et d’une diminution des apports nutritifs. On sait que la souffrance fœtale aiguë qui s’ensuit peut aboutir à une mort in-utéro ou à une ischémie-anoxie néonatale sévère par insuffisance placentaire, voire par inhalation méconiale. On connaît les conséquences neurologiques de cette hypotrophie et du défaut de réserves constituées en fin de grossesse, donnant une hypoglycémie néonatale précoce. Par contre, l’étiologie elle-même de la post-maturité reste encore dans une large mesure une inconnue.
Les difficultés anté- et néo-natales qui, pour toutes ces causes, sont souvent associées à la post-maturité, peuvent nécessiter une réanimation adaptée en salle de naissance reposant sur une étroite collaboration obstétrico-pédiatrique. On doit rappeler ici que différentes pathologies peuvent s’associer à la post-maturité, certaines entraînant un diagnostic réservé et des séquelles pulmonaires et neurologiques, et que la mortalité périnatale est deux fois plus élevée que pour l’enfant à terme, — quatre fois plus élevée si le nouveau-né souffre d’hypotrophie.
Aussi se doit-on de prévenir la post-maturité par un diagnostic précis du terme en début de grossesse et par la surveillance étroite de la fin de la grossesse, afin de porter à temps les indications d’un déclenchement de l’accouchement ou d’une césarienne s’il existe une menace vitale.
Mais la postmaturité ne nécessite-t-elle pas aussi une réflexion faisant intervenir la dimension psychologique et émotionnelle profondément associée à toute « attente » d’un enfant, à toute grossesse, et inhérente à tout accouchement ? Et savons-nous alors l’écouter ?
Un bec de lièvre bien « cicatrisé » ?
Les parents de Jacques, 9 ans et de Bernard, 7 ans sont venus me consulter pour des troubles importants du comportement de leur aîné qui commencent à retentir sur son cadet, jusqu’ici sans problèmes : Jacques est très agité à la maison, ne tient pas en place à l’école et perturbe la classe, et Bernard, jusqu’ici dominé et réservé, entre en conflits perpétuels avec lui. Les résultats scolaires de Jacques pâtissent de son manque de concentration et du rejet de ses enseignants, et se pose alors la question d’un changement d’école avec redoublement. Or ses parents ont l’impression qu’un redoublement ne servirait à rien…
Effectivement, l’examen psychologique de cet enfant témoigne de son efficience intellectuelle largement adaptée à la classe supérieure, comme l’ensemble de ses acquisitions. Mais depuis quand remontent ses difficultés ? Pourquoi est-il né post-mature ? Pourquoi a‑t-il donné, dès le début de la conquête de son autonomie, l’impression « d’enfoncer constamment des portes ouvertes » ou « d’aller se cogner la tête contre les murs », pour reprendre les expressions de ses parents ? L’accouchement de Bernard, dont le terme commençait à être dépassé, avait été, lui déclenché, mais pourquoi la maman prétextait-elle sa grossesse en cours pour ne pas commencer à organiser les aides dont Jacques avait manifestement tant besoin ?
Madame M. me montre alors une minuscule cicatrice qui prolonge le trait de sa lèvre supérieure. Elle me dit attendre une petite fille, et que tant qu’elle ne sera pas née, qu’elle ne l’aura pas vue, quels que soient les résultats des échographies, ce sera comme pour ses deux garçons : elle aura peur d’un bec de lièvre, de celui qui avait fait hurler de terreur sa propre maman lors de sa naissance…Elle croit par moments entendre encore le cri de sa mère, — celui qu’elle lui avait raconté…Elle ne peut pas être disponible pour Jacques, et cette grossesse, malgré l’attente d’une petite fille pourtant si désirée, est un cauchemar : elle ne supporte plus rien, elle a l’impression qu’elle ne pourra pas accoucher, elle se prépare à un déclenchement programmé « pour s’en débarrasser »…
Le père de Jacques se propose aussitôt de participer aux démarches nécessaires pour que son petit garçon soit aidé. Mais comment en rester là pour Madame M. ? Nous la reverrons seule, à sa demande, puis à nouveau avec son mari : l’équipe de la maternité qui la suit n’était pas au courant de ses souffrances psychologiques et ils acceptent que je me mette en relation avec elle pour que s’organise un autre accompagnement, et au moment des échographies, « une autre écoute des ultra-sons »* ! Parallèlement, le couple parental va se préparer « autrement » à cette naissance… Sonia naîtra naturellement, trois jours avant terme….
Une petite tombe à l’œuvre
Peu de temps avant l’élargissement de « L’Opération Pouponnières » à « La bien-traitance institutionnelle, de l’aube de la vie à l’âge de raison »*, un Juge des enfants nous contacte ainsi que le Docteur Anne Roubergue* pour nous demander d’accompagner la sortie de pouponnière d’un petit garçon de 10 mois, et de le suivre avec ses parents qui en sont séparés depuis sa naissance. En effet, la maman d’Olivier a vécu pour lui ce qu’on appelle un déni de grossesse. Elle a accouché seule au domicile, en l’absence de son compagnon alors souvent en voyage au début de sa carrière. Elle refuse ce bébé, se traîne avec lui dans l’escalier de son immeuble, l’abandonne sur un palier, parvient elle-même au dehors, où elle s’effondre, inanimée. Le bébé fera un court séjour en réanimation néonatale pour être accueilli dans une pouponnière sanitaire et sociale qui a justement collaboré à « L’Opération Pouponnières ». Ils vont aider les parents à entrer, justement, dans la parentalité, à devenir très progressivement des partenaires actifs du développement d’Olivier. Le suivi psychiatrique, puis psychothérapique de sa maman va aider cette très jeune femme à comprendre ce qui lui est arrivé, à ne pas être totalement submergée par la culpabilité, à s’occuper de son bébé.
A la sortie d’Olivier de la pouponnière, les deux parents vont venir à notre consultation jumelée, — psychologue-neuropédiatre —, très régulièrement. Nous allons tenter d’approfondir en amont, de comprendre, bien au-delà de ces événements dramatiques, leurs origines pour qu’ils perdent le poids de la tragédie. Nous remonterons ainsi jusqu’à la propre gestation de la maman d’Olivier, dans le ventre d’une maman très malade, accrochée viscéralement à la tombe d’une petite fille qu’elle venait de perdre, pour terminer enfin cette grossesse de remplacement totalement immobilisée dans une chambre d’hôpital. Nous saurons que, dès sa naissance, la maman d’Olivier restera longtemps aussi « une enfant de remplacement ».
Olivier va bien grandir, avec des parents de plus en plus épanouis et nos consultations s’espacent. Mais ils vont bientôt attendre un deuxième enfant, et elle me demande de l’aider… Elle craint la réactualisation de sa première grossesse, qui s’est déroulée comme à « son insu ». Des moments très pénibles lui reviennent ; elle pense aussi à ce qu’a vécu sa propre maman, se rapproche beaucoup d’elle et retourne elle aussi sur la tombe de ce qu’elle nomme « sa petite sœur », — son aînée pourtant, mais inconnue…
Lorsque le moment d’accoucher arrive, le travail s’arrête. Deux fois, ils vont « en catastrophe » à la maternité, qui ignore tout des antécédents de la mère et la renvoie à son domicile, heureusement tout proche. Elle a l’impression qu’ils la rejettent, qu’elle va mourir, que son bébé va mourir. Elle sait que si cela se reproduit, le terme sera dépassé, qu’« ils vont devoir faire un déclenchement, peut-être une césarienne ». Elle en est terrorisée, elle veut « vivre une vraie naissance ». Je lui propose alors de parler moi-même avec la sage-femme, et qu’ils me dégagent de tout secret professionnel, ce qu’ils acceptent avec soulagement. Les contractions reprennent…
C’est sur le perron de la maternité qu’ils seront attendus, que la maman d’Olivier sera accueillie et soutenue. L’accouchement sera rapide et simple. Leur bébé aura déjà plusieurs heures lorsque j’irai les rejoindre.
Le terme était dépassé… mais qui était en fait « dépassé » par le terme ?
Pour une autre écoute de la post-maturité
En 1980, il y a plus de vingt cinq ans, le Dr Roger BESSIS, avec un certain nombre d’autres de ses collègues, allait modifier la formation initiale des futurs échographistes, introduisant alors une sensibilisation à l’impact psychologique de l’échographie sur les parents, et de ce qui leur en était dit. De la lecture de l’image envoyée par les ultra-sons, de l’information issue de leur interprétation, on passait au dialogue.
On pourrait reprendre tous les écrits de cette période* pour les appliquer à une autre écoute de ce temps dépassé. Elle permettrait dans bien des cas d’ouvrir les possibilités d’une naissance naturelle, d’engager une réflexion et des recherches en ce sens, et si le danger vital reste prioritaire, de donner un autre sens au déclenchement lorsqu’il ne peut être évité….
* Pour retrouver toute information bibliographique sur cette conférence, on peut se référer au livre récent de Danielle Rapoport : « La bien-traitance envers l’enfant : des racines et des ailes » (Ed. Belin, 2006), et en particulier au chapitre 2 intitulé justement En passant par la maternité : première rencontre avec la bien-traitance ?.
J ajoute un commentaire sans savoir si le mien est bienvenu mais merci pour ces recherches et ces études elles sont trop rares.