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Inter­ven­tion à la Semaine mon­di­ale pour l’accouchement respec­té (SMAR 2006), le 23 mai 2006, dans le cadre de l’exposition « Nais­sances » au Musée de l’Homme, Paris

Danielle Rapoport, psy­cho­logue
Asso­ci­a­tion « Bien-trai­tance, for­ma­tion et recherches »

Si la pré­ma­tu­rité est devenu un phénomène fam­i­li­er dans notre société en rai­son de sa fréquence et de sa médi­ati­sa­tion, la post-matu­rité reste peu abor­dée et garde une part impor­tante de mys­tère. Être en terme dépassé est recon­nu comme dan­gereux pour ce bébé atten­du qui se fait atten­dre, mais les pro­grès tech­niques du déclenche­ment de la nais­sance en ont atténué les con­séquences, et ont mod­i­fié le ressen­ti même du dépasse­ment de dates, con­sid­érable­ment réduit par rap­port à la fréquence de 5% d’il y a une quin­zaine d’années.

Mais par-delà l’urgence médi­cale que nous allons évo­quer, car il n’est pas ques­tion ici de la nier ou de l’ignorer, savons-nous enten­dre que, au-delà du déclenche­ment, le dépasse­ment du temps peut avoir de mul­ti­ples réso­nances, voire même des caus­es psy­chologiques ? Celles-ci sont d’autant plus com­plex­es que les intérêts en jeu sont sou­vent con­tra­dic­toires, selon qu’il s’agisse de la mère, du père, du bébé et des pro­fes­sion­nels par­ti­c­ulière­ment concernés.

Com­pren­dre ici qui est en fait « dépassé » par le temps, ce qui le sus­pend et retient l’accouchement ou la nais­sance, per­met par­fois bien d’autres répons­es que le déclenche­ment lui-même. En témoigne la cica­trice d’un bec de lièvre sur la bouche de Michèle, maman de deux enfants nés post-maturé­ment, ou le petit tombeau d’une sœur aînée pour Noémie, qui avait occulté une pre­mière grossesse et retenu la nais­sance de son deux­ième enfant. 

La post-maturité : la nécessaire attention médicale, l’indication d’un déclenchement

Le nou­veau-né post-mature étonne la maman et son entourage. Sa peau est pâle, craque­lée, desqua­mante et sans vernix. Elle peut même présen­ter une col­oration verdâtre par une imprég­na­tion méco­niale, et elle appa­raît avec une couche adipeuse sous-cutanée réduite. Les ongles et les cheveux sont longs. En l’ab­sence de patholo­gie neu­rologique grave, le bébé garde les yeux grands ouverts et ce regard, très éveil­lé pour ses proches, témoigne de la mat­u­ra­tion avancée de sa vigilance. 

Mais pour un enfant qui risque de naître après 42 semaines d’aménorrhée, les non pro­fes­sion­nels et les par­ents ignorent sou­vent que non seule­ment ce ne sera pas un gros bébé, mais que l’hypotrophie est sou­vent asso­ciée à la post-matu­rité. En effet, la pro­lon­ga­tion de la grossesse entraîne une réduc­tion du gain pondéral en rai­son d’une insuff­i­sance pla­cen­taire, et donc d’une baisse du TaO2 pla­cen­to-foetal et d’une diminu­tion des apports nutri­tifs. On sait que la souf­france fœtale aiguë qui s’ensuit peut aboutir à une mort in-utéro ou à une ischémie-anox­ie néona­tale sévère par insuff­i­sance pla­cen­taire, voire par inhala­tion méco­niale. On con­naît les con­séquences neu­rologiques de cette hypotro­phie et du défaut de réserves con­sti­tuées en fin de grossesse, don­nant une hypo­gly­cémie néona­tale pré­coce. Par con­tre, l’étiologie elle-même de la post-matu­rité reste encore dans une large mesure une inconnue.

Les dif­fi­cultés anté- et néo-natales qui, pour toutes ces caus­es, sont sou­vent asso­ciées à la post-matu­rité, peu­vent néces­siter une réan­i­ma­tion adap­tée en salle de nais­sance reposant sur une étroite col­lab­o­ra­tion obstétri­co-pédi­a­trique. On doit rap­pel­er ici que dif­férentes patholo­gies peu­vent s’as­soci­er à la post-matu­rité, cer­taines entraî­nant un diag­nos­tic réservé et des séquelles pul­monaires et neu­rologiques, et que la mor­tal­ité péri­na­tale est deux fois plus élevée que pour l’en­fant à terme, — qua­tre fois plus élevée si le nou­veau-né souf­fre d’hypotrophie.

Aus­si se doit-on de prévenir la post-matu­rité par un diag­nos­tic pré­cis du terme en début de grossesse et par la sur­veil­lance étroite de la fin de la grossesse, afin de porter à temps les indi­ca­tions d’un déclenche­ment de l’ac­couche­ment ou d’une césari­enne s’il existe une men­ace vitale.

Mais la post­ma­tu­rité ne néces­site-t-elle pas aus­si une réflex­ion faisant inter­venir la dimen­sion psy­chologique et émo­tion­nelle pro­fondé­ment asso­ciée à toute « attente » d’un enfant, à toute grossesse, et inhérente à tout accouche­ment ? Et savons-nous alors l’écouter ?

Un bec de lièvre bien « cicatrisé » ?

Les par­ents de Jacques, 9 ans et de Bernard, 7 ans sont venus me con­sul­ter pour des trou­bles impor­tants du com­porte­ment de leur aîné qui com­men­cent à reten­tir sur son cadet, jusqu’ici sans prob­lèmes : Jacques est très agité à la mai­son, ne tient pas en place à l’école et per­turbe la classe, et Bernard, jusqu’ici dom­iné et réservé, entre en con­flits per­pétuels avec lui. Les résul­tats sco­laires de Jacques pâtis­sent de son manque de con­cen­tra­tion et du rejet de ses enseignants, et se pose alors la ques­tion d’un change­ment d’école avec redou­ble­ment. Or ses par­ents ont l’impression qu’un redou­ble­ment ne servi­rait à rien…

Effec­tive­ment, l’examen psy­chologique de cet enfant témoigne de son effi­cience intel­lectuelle large­ment adap­tée à la classe supérieure, comme l’ensemble de ses acqui­si­tions. Mais depuis quand remon­tent ses dif­fi­cultés ? Pourquoi est-il né post-mature ? Pourquoi a‑t-il don­né, dès le début de la con­quête de son autonomie, l’impression « d’enfoncer con­stam­ment des portes ouvertes » ou « d’aller se cogn­er la tête con­tre les murs », pour repren­dre les expres­sions de ses par­ents ? L’accouchement de Bernard, dont le terme com­mençait à être dépassé, avait été, lui déclenché, mais pourquoi la maman pré­tex­tait-elle sa grossesse en cours pour ne pas com­mencer à organ­is­er les aides dont Jacques avait man­i­feste­ment tant besoin ?

Madame M. me mon­tre alors une minus­cule cica­trice qui pro­longe le trait de sa lèvre supérieure. Elle me dit atten­dre une petite fille, et que tant qu’elle ne sera pas née, qu’elle ne l’aura pas vue, quels que soient les résul­tats des échogra­phies, ce sera comme pour ses deux garçons : elle aura peur d’un bec de lièvre, de celui qui avait fait hurler de ter­reur sa pro­pre maman lors de sa naissance…Elle croit par moments enten­dre encore le cri de sa mère, — celui qu’elle lui avait raconté…Elle ne peut pas être disponible pour Jacques, et cette grossesse, mal­gré l’attente d’une petite fille pour­tant si désirée, est un cauchemar : elle ne sup­porte plus rien, elle a l’impression qu’elle ne pour­ra pas accouch­er, elle se pré­pare à un déclenche­ment pro­gram­mé « pour s’en débarrasser »…

Le père de Jacques se pro­pose aus­sitôt de par­ticiper aux démarch­es néces­saires pour que son petit garçon soit aidé. Mais com­ment en rester là pour Madame M. ? Nous la rever­rons seule, à sa demande, puis à nou­veau avec son mari : l’équipe de la mater­nité qui la suit n’était pas au courant de ses souf­frances psy­chologiques et ils acceptent que je me mette en rela­tion avec elle pour que s’organise un autre accom­pa­g­ne­ment, et au moment des échogra­phies, « une autre écoute des ultra-sons »* ! Par­al­lèle­ment, le cou­ple parental va se pré­par­er « autrement » à cette nais­sance… Sonia naî­tra naturelle­ment, trois jours avant terme…. 

Une petite tombe à l’œuvre

Peu de temps avant l’élargissement de « L’Opération Poupon­nières » à « La bien-trai­tance insti­tu­tion­nelle, de l’aube de la vie à l’âge de rai­son »*, un Juge des enfants nous con­tacte ain­si que le Doc­teur Anne Rou­ber­gue* pour nous deman­der d’accompagner la sor­tie de poupon­nière d’un petit garçon de 10 mois, et de le suiv­re avec ses par­ents qui en sont séparés depuis sa nais­sance. En effet, la maman d’Olivier a vécu pour lui ce qu’on appelle un déni de grossesse. Elle a accouché seule au domi­cile, en l’absence de son com­pagnon alors sou­vent en voy­age au début de sa car­rière. Elle refuse ce bébé, se traîne avec lui dans l’escalier de son immeu­ble, l’abandonne sur un palier, parvient elle-même au dehors, où elle s’effondre, inan­imée. Le bébé fera un court séjour en réan­i­ma­tion néona­tale pour être accueil­li dans une poupon­nière san­i­taire et sociale qui a juste­ment col­laboré à « L’Opération Poupon­nières ». Ils vont aider les par­ents à entr­er, juste­ment, dans la parental­ité, à devenir très pro­gres­sive­ment des parte­naires act­ifs du développe­ment d’Olivier. Le suivi psy­chi­a­trique, puis psy­chothérapique de sa maman va aider cette très jeune femme à com­pren­dre ce qui lui est arrivé, à ne pas être totale­ment sub­mergée par la cul­pa­bil­ité, à s’occuper de son bébé.

A la sor­tie d’Olivier de la poupon­nière, les deux par­ents vont venir à notre con­sul­ta­tion jumelée, — psy­cho­logue-neu­ropé­di­a­tre —, très régulière­ment. Nous allons ten­ter d’approfondir en amont, de com­pren­dre, bien au-delà de ces événe­ments dra­ma­tiques, leurs orig­ines pour qu’ils per­dent le poids de la tragédie. Nous remon­terons ain­si jusqu’à la pro­pre ges­ta­tion de la maman d’Olivier, dans le ven­tre d’une maman très malade, accrochée vis­cérale­ment à la tombe d’une petite fille qu’elle venait de per­dre, pour ter­min­er enfin cette grossesse de rem­place­ment totale­ment immo­bil­isée dans une cham­bre d’hôpital. Nous saurons que, dès sa nais­sance, la maman d’Olivier restera longtemps aus­si « une enfant de remplacement ». 

Olivi­er va bien grandir, avec des par­ents de plus en plus épanouis et nos con­sul­ta­tions s’espacent. Mais ils vont bien­tôt atten­dre un deux­ième enfant, et elle me demande de l’aider… Elle craint la réac­tu­al­i­sa­tion de sa pre­mière grossesse, qui s’est déroulée comme à « son insu ». Des moments très pénibles lui revi­en­nent ; elle pense aus­si à ce qu’a vécu sa pro­pre maman, se rap­proche beau­coup d’elle et retourne elle aus­si sur la tombe de ce qu’elle nomme « sa petite sœur », — son aînée pour­tant, mais inconnue…

Lorsque le moment d’accoucher arrive, le tra­vail s’arrête. Deux fois, ils vont « en cat­a­stro­phe » à la mater­nité, qui ignore tout des antécé­dents de la mère et la ren­voie à son domi­cile, heureuse­ment tout proche. Elle a l’impression qu’ils la rejet­tent, qu’elle va mourir, que son bébé va mourir. Elle sait que si cela se repro­duit, le terme sera dépassé, qu’« ils vont devoir faire un déclenche­ment, peut-être une césari­enne ». Elle en est ter­ror­isée, elle veut « vivre une vraie nais­sance ». Je lui pro­pose alors de par­ler moi-même avec la sage-femme, et qu’ils me déga­gent de tout secret pro­fes­sion­nel, ce qu’ils acceptent avec soulage­ment. Les con­trac­tions reprennent…

C’est sur le per­ron de la mater­nité qu’ils seront atten­dus, que la maman d’Olivier sera accueil­lie et soutenue. L’accouchement sera rapi­de et sim­ple. Leur bébé aura déjà plusieurs heures lorsque j’irai les rejoindre.

Le terme était dépassé… mais qui était en fait « dépassé » par le terme ? 

Pour une autre écoute de la post-maturité

En 1980, il y a plus de vingt cinq ans, le Dr Roger BESSIS, avec un cer­tain nom­bre d’autres de ses col­lègues, allait mod­i­fi­er la for­ma­tion ini­tiale des futurs échographistes, intro­duisant alors une sen­si­bil­i­sa­tion à l’impact psy­chologique de l’échographie sur les par­ents, et de ce qui leur en était dit. De la lec­ture de l’image envoyée par les ultra-sons, de l’information issue de leur inter­pré­ta­tion, on pas­sait au dialogue. 

On pour­rait repren­dre tous les écrits de cette péri­ode* pour les appli­quer à une autre écoute de ce temps dépassé. Elle per­me­t­trait dans bien des cas d’ouvrir les pos­si­bil­ités d’une nais­sance naturelle, d’engager une réflex­ion et des recherch­es en ce sens, et si le dan­ger vital reste pri­or­i­taire, de don­ner un autre sens au déclenche­ment lorsqu’il ne peut être évité….


* Pour retrou­ver toute infor­ma­tion bib­li­ographique sur cette con­férence, on peut se référ­er au livre récent de Danielle Rapoport : « La bien-trai­tance envers l’enfant : des racines et des ailes » (Ed. Belin, 2006), et en par­ti­c­uli­er au chapitre 2 inti­t­ulé juste­ment En pas­sant par la mater­nité : pre­mière ren­con­tre avec la bien-trai­tance ?.

Catégories : smar.archives

1 commentaire

Céline · 7 février 2009 à 23 h 11 min

J ajoute un com­men­taire sans savoir si le mien est bien­venu mais mer­ci pour ces recherch­es et ces études elles sont trop rares.

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