L’Académie française de médecine soutient les pratiques mais oublie les preuves (juillet 2008)

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Source et com­men­taires sur Ago­ravox http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l‑academie-francaise-de-medecine-42158

L’Académie nationale de médecine con­tribue à la dés­in­for­ma­tion du pub­lic sur les sujets de l’accouchement à domi­cile et celui de l’accompagnement par un‑e doula durant la grossesse, l’accouchement et les suites de couches.

Cer­tains points du com­mu­niqué du 10 juin 2008, au sujet de la pro­fes­sion de doula, décrivent comme « poten­tielle­ment dan­gereuses » (1) des pra­tiques dont la lit­téra­ture sci­en­tifique a établi qu’elles ne le sont pas.

L’Organisation mon­di­ale de la san­té (OMS, après avoir com­pul­sé la lit­téra­ture sci­en­tifique disponible sur le sujet, a émis des recom­man­da­tions pour la prise en charge d’un accouche­ment nor­mal (2). Tous les bureaux de l’OMS, y com­pris européens, ont par­ticipé à l’élaboration de ces recom­man­da­tions. Les pra­tiques passées en revue con­cer­nent aus­si bien les pays en voie de développe­ment que les autres. Cer­taines recom­man­da­tions con­cer­nent même spé­ci­fique­ment nos pays indus­tri­al­isés puisque l’évaluation porte sur l’utilisation de tech­nolo­gies inex­is­tantes dans les pays en voie de développe­ment (mon­i­tor­ing en con­tinu ou anal­gésie péridu­rale, par exemple).

Les études sci­en­tifiques nous appren­nent que le jeûne imposé à une femme qui accouche est poten­tielle­ment dan­gereux car il con­tribue à son épuise­ment (3). D’autre part, l’interdiction de boire et de manger est dans nos mater­nités sys­té­ma­tique­ment com­pen­sée par la mise en place d’une per­fu­sion de soluté glu­cosé dont il a été établi qu’elle peut s’avérer néfaste pour la femme et son bébé (voir (4) (5) (6) (7)).

Pour ce qui est de la durée de la phase d’expulsion du bébé, même si l’OMS recon­naît qu’après deux heures chez une prim­i­pare, la prob­a­bil­ité d’un accouche­ment spon­tané dans des délais raisonnables dimin­ue, elle pré­conise que la déci­sion d’interrompre le deux­ième stade du tra­vail soit avant tout basée sur la sur­veil­lance de l’état de la mère et du foe­tus et sur l’évolution du tra­vail. Si tout se passe bien, il n’y a pas lieu de vouloir observ­er absol­u­ment une durée stip­ulée (8).

Pour ce qui est du recours aux for­ceps, l’OMS men­tionne que la présence pen­dant l’accouchement de pro­fes­sion­nels non qual­i­fiés pour inter­venir, mais désireux de préserv­er la nor­mal­ité, peut apparem­ment prévenir des inter­ven­tions super­flues. « L’épidémie mon­di­ale d’extractions instru­men­tales requiert une atten­tion accrue car toute inter­ven­tion super­flue est dan­gereuse pour la femme et pour le nou­veau-né » (8).

Les doulas, tout comme les femmes qu’elles accom­pa­g­nent à la mater­nité ou à domi­cile, ne s’opposent pas à ce que soit effec­tuée une inter­ven­tion médi­cale rigoureuse­ment nécessaire.

La désob­struc­tion des voies aéri­ennes du nou­veau né, tout comme l’aspiration gas­trique, sont des gestes qui n’ont pas lieu d’être effec­tués en rou­tine car, out­re qu’ils sont désagréables voire douloureux pour le bébé, ils sont de nature à per­turber la mise en route de l’allaitement (9).

L’Académie de médecine donne son assen­ti­ment à la pra­tique sys­té­ma­tique d’interventions dont l’utilité n’est pas démon­trée (voire dont la nociv­ité est avérée) et aux­quelles de nom­breux par­ents s’opposent aujourd’hui. Les doulas ne sont là que pour faire écho à ces requêtes ; elles n’en sont pas les ini­ti­atri­ces. Elles ont été con­tac­tées par des femmes qui, loin d’être frag­iles ou vul­nérables, ont des attentes par­ti­c­ulières et sont déjà dans une remise en cause de la prise en charge hos­pi­tal­ière usuelle.

Dis­ons égale­ment que les espaces phys­i­ologiques, les Maisons de Nais­sance — dont aucune n’existe encore en France — et davan­tage de sages-femmes sont des mesures indis­pens­ables à un meilleur vécu pour les femmes et leur con­joint. Ces sim­ples mesures struc­turelles, pré­con­isées depuis longtemps par l’AFAR< (Alliance Fran­coph­o­ne pour l’Accouchement Respec­té) réduiraient les coûts pour la col­lec­tiv­ité (diminu­tion pro­por­tion­nelle à la baisse du nom­bre d’interventions médi­co-chirur­gi­cales et de leurs éventuelles complications).

L’économie finan­cière serait d’autant plus intéres­sante pour les Maisons de Nais­sance qui sont une alter­na­tive que la France ne VEUT PAS met­tre en place. Elles per­me­t­traient, sur une grossesse dite à bas risque, d’économiser 765 euros par femme et par grossesse (10). Il est intéres­sant de sig­naler à ce pro­pos l’opposition offi­cielle à ces pro­jets du Col­lège Nation­al des Gyné­co­logues Obstétriciens (CNGOF) (voir 11), de la Société Française d’Anesthésie-Réanimation (SFAR) et du Club Anesthésie-Réan­i­ma­tion en Obstétrique (voir 12).

Pour répon­dre aux attentes des femmes rési­dant sur notre ter­ri­toire, il con­viendrait égale­ment de « dédi­a­bolis­er » l’accouchement à domi­cile, encore moins coû­teux qu’un accouche­ment en Mai­son de Nais­sance pour la collectivité.

Con­traire­ment à ce que pré­tend l’Académie de Médecine, cette pra­tique ne présage pas un désas­tre néona­tal quand elle s’inscrit dans le cadre de l’accompagnement glob­al (une femme, une sage-femme, du début de la grossesse en pas­sant par l’accouchement et pour les suites de couch­es). Il est prou­vé qu’il n’est pas plus dan­gereux pour une femme d’enfanter à son domi­cile, lorsque les con­di­tions phys­i­ologiques et de sur­veil­lance pré­con­isées sont respec­tées, qu’à l’hôpital (voir 13). Ce choix est d’ailleurs encour­agé par le min­istère de la san­té au Roy­aume-Uni (14).

Il est faux de pré­ten­dre que les doulas sont respon­s­ables de la demande crois­sante d’accouchement à domi­cile cette demande puisqu’elles n’accompagnent que des accouche­ments où la sage-femme est présente. On ne peut pas ain­si gom­mer les attentes des femmes en pré­tex­tant une insta­bil­ité émo­tion­nelle qui les rendrait tout bon­nement inaptes à faire des choix éclairés lorsqu’elles sont enceintes. C’est en pleine pos­ses­sion de leurs fac­ultés intel­lectuelles et par­faite­ment con­scientes de ce que cela implique, tant au niveau des béné­fices que des risques, que cer­taines font ce choix.

Ce qui est dan­gereux, ce n’est ni l’accouchement à domi­cile ni la présence des doulas mais l’absence de choix qui con­traindrait éventuelle­ment une femme à accouch­er seule chez elle. C’est l’occasion de soulign­er que les sages-femmes français­es pro­posant un accom­pa­g­ne­ment à domi­cile ne sont plus cou­vertes par une assur­ance depuis 2000, que les cor­po­ra­tions de médecins ne sem­blent guère s’en émou­voir et que les pou­voirs publics ne mon­trent aucun désir de remédi­er à la situation.

En prenant posi­tion avec autant d’aplomb et si peu de références, l’Académie de Médecine sig­ni­fie sim­ple­ment son refus d’une pro­fonde remise en cause de pra­tiques pro­fes­sion­nelles par­fois nocives aux femmes et à leurs bébés. Elle se met en porte à faux avec le cre­do de tout bon prati­cien : « Pri­mum non nocere ».

L’AFAR</ n’est ni pour ni con­tre l’existence des doulas. Nous con­sta­tons sim­ple­ment que l’émergence des doulas répond à la volon­té des femmes et que cette dernière doit être respec­tée. Il est pos­si­ble que cette demande soit par­tielle­ment comblée par l’augmentation des effec­tifs de sages-femmes et l’évolution des pra­tiques hos­pi­tal­ières, mais rien ne per­met de l’affirmer. Il con­vient cer­taine­ment mieux d’envisager la présence des doulas sous l’angle de la com­plé­men­tar­ité (15).

L’AFAR a mis à la dis­po­si­tion du pub­lic et des pro­fes­sion­nels une base de références sci­en­tifiques de plusieurs mil­liers d’articles (16). Ce qui con­traste avec les affir­ma­tions fauss­es et dénuées de toute référence dont l’Académie de Médecine se fait l’écho.

Cather­ine Chaumont
11 juil­let 2008

Références

  1. http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=26&idLigne=1400
  2. http://www.who.int/reproductive-health/publications/French_MSM_96_24/index.html
  3. http://www.who.int/reproductive-health/publications/French_MSM_96_24/MSM_96_24_chapter2_part1.fr.html
  4. Lucas A, Adri­an TE, Ayns­ley-Green A, Bloom SR. Iatro­genic hyper­in­sulin­ism at birth. Lancet 1980; 1:144–145.
  5. Lawrence GF, Brown VA, Par­sons RJ, Cooke ID.??’ Feto-mater­nal con­se­quences of high-dose glu­cose infu­sion dur­ing labour. Br J Obst Gynaecol 1982; 89:27–32.
  6. Rut­ter N, Spencer A, Mann N, Smith M. Glu­cose dur­ing labour. Lancet 1980; 2:155.
  7. Tarnow-Mor­di WO, Shaw JCL, Liu D, Gard­ner DA, Fly­nn FV. Iatro­genic hypona­traemia of the new­born due to mater­nal flu­id over­load; a prospec­tive study. Br Med J 1981; 283:639–642.
  8. http://www.who.int/reproductive-health/publications/French_MSM_96_24/MSM_96_24_chapter4.fr.html
  9. G. Grem­mo-Féger ? Pédi­a­tre au CHU de Brest. Dossiers de l’Allaitement n°51, 2002.
  10. http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/25/46/25/mdn/forfait-agn-mdn.pdf
  11. http://www.cngof.asso.fr/D_TELE/080310DHOS_Maisons de naissance.pdf
  12. http://ciane.net/Ciane/CaroSfarMdn13mars2008
  13. http://www.ansl.org/images/MemoireMMunier.pdf
  14. Nation­al­Home­Birth­Sta­tis­tic­sUk
  15. http://wiki.naissance.asso.fr/index.php?pagename=AfarMotionDoulas
  16. https://afar.info/expert