Extrait du dossier « Bilan du post-partum, le prix de la maternité »
Le Généraliste, 2287, vendredi 23 avril 2004.
Article source :
L’épisiotomie prévient les déchirures périnéales sévères avec rupture du sphincter risquant d’entraîner une incontinence anale.
Elle ne prévient en aucun cas les risques urinaires.
Suivant les services, elle est pratiquée dans 40 à 70 % des accouchements. Un taux raisonnable se situerait, d’après le Pr Mellier entre 50 et 60 %. Dans les suites de l’épisiotomie, le généraliste peut être consulté pour des douleurs sur le trajet de l’incision plus ou moins gênantes, entraînant parfois des dyspareunies. Lorsque ces douleurs sont très ponctuelles, elles peuvent bénéficier de rééducation périnéale à basse fréquence à visée antalgique et d’infiltrations d’anesthésiques. Celles-ci peuvent constituer un test diagnostique et parfois apporter un soulagement définitif.
Les déchirures périnéales, d’autant plus importantes qu’on a utilisé des forceps, peuvent être antérieures, sous-vésicales, latérovaginales, au niveau du corps du périnée, intéresser les muscles releveurs et le sphincter externe de l’anus. Toutes ces déchirures périnéales, plus ou moins complexes, se réparent en salle de travail, immédiatement au moment de l’accouchement. S’il se produit une désunion secondaire, soit par un hématome, soit par une infection, il n’y a pratiquement jamais d’indication de reprise immédiate, car la cicatrisation serait toujours défectueuse.
En cas de reprise du périnée, l’intervention est faite très à distance de l’accouchement. Il est impératif d’attendre la cicatrisation spontanée et de réévaluer minutieusement les lésions quinze jours à trois mois plus tard. On est souvent agréablement surpris de constater une assez bonne récupération du périnée. Dans la majorité des cas, une réintervention ne s’impose pas. Si l’on doit intervenir, cela peut se faire dans les six à douze mois suivant l’accouchement. La décision de l’opportunité et de la date de l’intervention revient à la patiente.
Cela dépend de sa gêne et également de ses projets de maternités ultérieures. Tout nouvel accouchement risque en effet de faire perdre le bénéfice d’une intervention. Donc, dans un certain nombre de cas, si la gêne est tolérable, on ne décidera d’intervenir sur le périnée qu’après la naissance du dernier enfant souhaité.
Réponse à cet article: l’épisiotomie ne prévient pas les déchirures sévères du périnée
De : Alliance Francophone pour l’Accouchement Respecté
Association loi 1901, https://afar.info, afar.association(arobase)gmail.com
A : Mr. Gérard Bardy, Directeur general — directeur des rédactions
Dr. Catherine Hovan, rédactrice en chef de la rubrique FMC
Dr. Linda Sitruk, rédactrice en chef adjointe de la rubrique FMC
Copie : Pr. G. Mellier, Hôpital Edouard Herriot, Lyon
Nous avons lu avec beaucoup d’interêt le dossier “Bilan du postpartum, le prix de la maternité” [lien invalide/2012]. Dans le paragraphe “Déchirures périnéales”, notre attention a été attirée tout particulièrement par la phrase d’introduction :
“L’épisiotomie prévient les déchirures périnéales sévères avec rupture du sphincter risquant d’entraîner une incontinence anale.”,
puis par la recommandation du Pr. Mellier :
“Un taux raisonnable se situerait, d’après le Pr Mellier entre 50 et 60%.”
Auriez-vous à votre disposition des études randomisées récentes qui ne seraient pas encore publiées ? Votre phrase paraît en effet en contradiction avec la grande revue de Woolley sur le sujet (1995), et avec la revue Cochrane de Carroli et Belizan dont la dernière remise à jour date de cette année. A notre connaissance, les études scientifiques publiées montrent que l’épisiotomie médiane fait partie des facteurs de risque associés aux déchirures du troisième et quatrième degré. Le fait qu’elle soit une variable indépendante d’autres facteurs de risque reste débattu. L’épisiotomie médio-latérale n’a elle aucun effet sur ces déchirures graves, mais elle est très hémorragique (au moins autant qu’une césarienne). L’abandon de la pratique de l’épisiotomie prophylactique conduit naturellement à une augmentation des déchirures du premier et second degré, mais une épisiotomie est équivalente à une déchirure du deuxième degré (voir note). Il est démontré que l’épisiotomie prévient les déchirures du périnée antérieur. Néanmoins, celles-ci sont en général peu profondes, et les déchirures spontanées du premier et second degré cicatrisent au moins aussi bien qu’une épisiotomie.
En France, les taux d’épisiotomies sur les primipares et les multipares étaient de 71% et 36% en 1998. Parue la même année, l’une des rares études existantes sur l’accouchement à domicile trouvait des taux de périnées intacts ou avec déchirure du premier degré de 66% et 89%. L’OMS quant à elle parle de dérive culturelle lorsque le taux d’épisiotomies est supérieur à 20%. Les taux d’épisiotomies en Angleterre étaient inférieurs à 20% en 2002, inférieurs à 10% en Suède, sans incidence sur les taux de déchirures graves par rapport à la France ou aux pays latins. Si vous avez eu connaissance d’études plus récentes aboutissant à des résultats contradictoires nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir nous en communiquer les références.
C. Loup, B. Bel, A‑M. Bosems, B. Poitel, B. Strandman.
Note : Une épisiotomie atteint la muqueuse du vagin, les petites lèvres (coupure à partir de la fourche), et les fibres musculaires du périnée, ce qui correspond à la nomenclature internationale pour la définition des déchirures du deuxième degré.
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Réponse de Pr. Mellier, 6 mai 2004
Subject: RE : Pour publication : REPONSE AU DOSSIER FMC “Bilan du post-partum”
From: “Georges Mellier” <georges.mellier@…>
Date: Thu, May 6, 2004 12:30
To: “ ‘Cecile Loup’ ” <loup@…>
Madame,
Je vous remercie pour votre Email qui montre l’intérêt que vous portez à l’accouchement. L’épisiotomie est toujours un sujet discuté et c’est bien la preuve qu’il n’y a pas de vérité qui s’impose ni pour les patientes ni pour la communauté scientifique. Je vous réponds au nom de la revue et du médecin rédacteur de l’article que j’ai conseillé.
La randomisation pour l’épisiotomie est une chose difficile car dans les équipes, lorsqu’on parle d’épisiotomie médio latérale, tout le monde ne fait pas et ne parle pas de la même chose. Il ne faut donc pas “s’arrêter” aux études randomisées qui même si elles existaient, auraient un biais.
Je suis tout à fait d’accord pour dire que l’épisiotomie médiane entraîne des déchirures et qu’il ne faut pas en faire. Cet article s’adresse à des généralistes qui ne font pas d’épisiotomie et en France presque tout le monde ne fait que des épisiotomies médio latérales. L’épisiotomie médiane doit être proscrite et je suis d’accord avec vous.
L’épisiotomie est beaucoup moins hémorragique qu’une césarienne et il n’y a aucun doute par rapport à cette affirmation. Elle n’est pas pour moi l’équivalent d’une déchirure du 2eme degré. Dans la déchirure il y a le visible (fibres sectionnées) et l’invisible fibres lacérées, déchirures occulte que l’échographie endo-anale montre bien (40% de lésion occultes du sphincter en cas d’accouchement chez la primipare tous accouchements, voie basse, confondus) Pour moi il existe bien une prévention de l’incontinence anale par l’épisiotomie. Elle protège contre les déchirures du 3eme et 4eme degré. On sait qu’en cas de déchirures du 3eme ou 4eme degré il existe un risque d’incontinence anale dans environ 50% des cas. C’est la raison de ma proposition de faire des épisiotomies. Sur le plan urinaire l’épisiotomie ne prévient pas l’apparition d’une incontinence urinaire. Il reste à définir le taux idéal d’épisiotomie: je pense que personne n’a de réponse. Il e situe sans doute à plus de 20% et moins de 80%. La bonne indication ne peut être posé que par la personne qui fait l’accouchement et avant que le périnée ne “blanchisse” car il y a à ce moment là déjà des lésions profondes musculaires mais surtout nerveuse qui font tout le pronostic chez nos patientes.
La pratique d’une épisiotomie n’est pas pour ceux qui en font une facilité. Elle n’est pas une difficulté pour ceux qui en font peu. L’objectif est bien de préserver la fonction périnéale à tout point de vue: urinaire, sexuelle mais aussi anale ce qui est encore peu connu et étudié actuellement.
Je vous adresse en copie qlqs diapos de présentation que je fais ainsi qu’un abstract sur l’épidémiologie de l’incontinence anale.
Merci de l’intérêt que vous porter à ce sujet qui vous l’avez compris m’intéresse également beaucoup comme chirurgien de réparation des troubles de la statique pelvienne qui souhaite développer la prévention chez les femmes jeunes pour avoir moins de travail chez les femmes âgées!
Bien cordialement
Professeur G. Mellier
Service de gynécologie
Hôpital Edouard Herriot
69003 Lyon
Réponse de l’AFAR à la lettre du Pr. Mellier
L’épisiotomie et les déchirures périnéales
Le 7 juillet 2004
Objet : Réponse à la lettre du Pr. Mellier
Cher Pr. Mellier,
Nous vous remercions à notre tour d’avoir répondu à
notre lettre, et de nous avoir communiqué les quelques références
appuyant votre opinion.
Notre lettre est publiée sur le web :
https://afar.info/presse/mellier/episio-ne-previent-pas.htm.
Nous souhaiterions votre autorisation pour rendre votre réponse
publique également. La présente réponse sera rendue
publique.
I. Information et droits des patients
Votre dossier s’adresse à des médecins généralistes
qui en effet ne pratiquent pas d’épisiotomies en général.
Il est pourtant fondamental qu’ils soient informés aussi correctement
que possible, et tout particulièrement lorsqu’un sujet prête à
controverse, car ils ont un rôle fondamental dans l’information transmise
aux patients. Une information bien transmise et bien comprise permet ensuite aux
parents d’exercer l’un de leurs droits fondamentaux, celui du
(non-)consentement éclairé lorsque la médecine leur
propose un traitement ou une intervention (article
L1111‑4 du code de santé publique).
L’information donnée aux parents en France sur le rôle de l’épisiotomie
est le plus souvent tronquée. L’épisiotomie prophylactique est présentée
comme vous le faites, protectrice du périnée, ce que nous
contestons (voir II), ainsi que nombre de vos confrères [par ex.
71,793]. Il y a un consensus général dans la littérature
aboutissant à la conclusion que l’usage de l’épisiotomie doit être
restreinte à certains cas pathologiques : la dystocie des épaules
(très rare) et une souffrance foetale aigüe. L’utilisation de l’épisiotomie
pour les extractions instrumentales reste controversée [71].
Les risques associés à l’épisiotomie ne sont que
rarement mentionnés. Ils existent pourtant, à des fréquences
diverses, et en fonction des particularités propres à chaque
personne :
- Déperdition sanguine importante, du même ordre que celles dues
à une césarienne d’après vos confrères de Poitiers
[5] - Mauvaise suture ou mauvaise incision
- Infections
- Hématomes
- Réaction inflammatoire et aggravation des hémorroides
- Difficultés de cicatrisation
- Douleur lors de l’incision ou/et de la suture. Il ne s’agit pas d’une
anecdote. Il est encore fréquent que des épisiotomies soient
recousues sans anesthésie, ceci incluant les cas de péridurale qui
ne fonctionnent pas ou partiellement (1 sur 100 environ) - Douleur post-partum, se prolongeant parfois des semaines voir des mois
- Dyspareunie, à vie dans les cas les plus dramatiques
- Traumatisme psychique d’apprendre soudain que l’on a été coupée
dans son intimité sous les yeux de son compagnon
Les parents français ne sont donc pas en général éclairés.
On leur “apprend” plutôt que l’épisiotomie est une banale
petite incision sans conséquence.
Il est d’usage que l’épisiotomie soit pratiquée lors de
l’accouchement en se cachant de la femme en couche, donc bien évidemment
sans son consentement, et parfois contre une décision exprimée
plus tôt, sans pour autant que la vie du bébé soit en jeu.
Une telle pratique est illégale depuis plus de deux ans. [Elle l’était
depuis l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, mais la loi “Kouchner” de mars 2002 a réaffirmé le principe du choix éclairé.]
Il est inadmissible de couper le corps d’un autre sans lui demander son accord,
c’est une atteinte à l’intégrité physique. Nous espérons
que ce message finira par être entendu, et que ce jeu de cache-cache entre
peur et culpabilité sera progressivement remplacé par des
attitudes plus responsables. L’argument consistant à dire qu’il ne faut
pas faire peur à la femme est sans fondement dans la grande majorité
des cas. Il ne reflète que la peur miroir du praticien, ou son sentiment
de culpabilité, si ce n’est sa paresse humaine à informer et
dialoguer.
II. Littérature scientifique
Nous vous remercions de nous avoir communiqué la copie de vos
transparents. Ils sont particulièrement instructifs sur le plan de la méthodologie
scientifique. Vous admettrez avec nous que vous ne citez que les publications,
ou partie des publications, qui vont dans le sens de votre opinion personnelle,
sans citer aucune des références aboutissant aux conclusions opposées,
pourtant bien plus nombreuses (voir références).
Globalement, les seuls facteurs de risque robustes des déchirures périnéales
complètes sont la nulliparité, le poids ou le diamètre
cranien du bébé (sans parler de macrosomie puisque cela commence
dès 3 kg), les extractions assistées, et l’utilisation de
syntocinon pour le déclenchement ou l’accélération du
travail (par ex. de Leeuw et al.[755]). Pour le reste il y a souvent des résultats
contradictoires, et surtout une grande hétérogénéité
des facteurs associés dont les auteurs pensent à tenir compte dans
leur études [800]. Dans certaines publications on trouve par exemple
qu’accoucher entre 3 et 6h du matin [798], ou avec un obstétricien plutôt
qu’une sage-femme [795,199], sont des facteurs de risque indépendants.
Reprenons les références citées dans vos transparents.
Dans l’étude de Handa et al.[757], l’effet protecteur de l’épisiotomie
sur les déchirures du 3e degré trouvé est très
faible, significatif dans la statistique, mais ne justifiant en aucun cas de
pratiquer des épisiotomies sur 50% des femmes pour un facteur de
protection de à peine 0.9. Vous oubliez en outre de mentionner que,
inversement, ils trouvent que l’épisiotomie est un facteur de risque pour
les déchirures les plus graves (4e degré) qui conduisent le plus
souvent à l’incontinence anale. Là aussi l’effet est faible.
Globalement l’effet de l’épisiotomie dans cette étude est nul,
d’autant plus que leur taux de déchirures sévères est très
élevé, 6%, ce qui rend l’effet protecteur très peu crédible,
en dépit de la statistique.
Il est tout à fait frappant de constater que les 3 seules études
qui trouvent un effet protecteur important (facteur 2–4) de l’épisiotomie
médiolatérale sont des études hollandaises. Dans aucun
autre pays européen, France comprise [790], un tel effet n’a été
retrouvé. La première parue est celle de Anthony et al.[810] Ils
trouvent que l’épisiotomie médiolatérale a un effet très
protecteur. Mais tout aussi bien, en distinguant les maternités
pratiquant des taux inférieurs à 11% et supérieurs à
50%, ils ne distinguent aucune différence notable dans les taux de déchirures
sévères. La seule explication possible pour résoudre cette
contradiction serait de faire intervenir des pratiques obstétricales
courantes dans certains lieux et pas dans d’autres, pratiques qui augmenteraient
le risque de déchirures sévères sur lesquelles l’épisiotomie
auraient effectivement un effet protecteur. On peut penser par exemple à
des taux importants d’extractions assistées (forceps, ventouse,
expression abdominale), ou de déclenchements, ou d’accélération
du travail par ocytocines de synthèse, tous trouvés comme facteurs
de risque dans les mêmes études hollandaises (et par beaucoup
d’autres), ou encore à des excès de manipulations au moment de la
naissance. Parue 3 ans plus tard, l’étude de Poen et al. [801] trouve que
l’épisiotomie médiolatérale est un facteur protecteur pour
les nullipares, mais un facteur de risque pour les multipares. Une autre étude
[765] trouve le résultat exactement opposé, que l’épisiotomie
médiolatérale n’est un facteur de risque que pour les nullipares.
Finalement on en arrive à la troisième de ces études
hollandaises, de Leeuw et al. [755], qui trouvent un effet protecteur important,
et qui ont pour eux une large statistique. On se demande comment un tel facteur
protecteur n’est pas retrouvé dans d’autres études même avec
une statistique 10 à 20 fois moindre. Il est édifiant de les
comparer simplement à une étude suédoise [566]. Les
chiffres sont :
Article | Episiotomie | Déchirures sévères | ||
nullipares | multipares | nullipares | multipares | |
de Leeuw[755] | 34% | 2.7% | 1.3% | |
Rockner [566] | 6.6% | 1% | 2.3% | 0.6% |
Notez que de Leeuw et al. ne discutent pas de l’influence de la parité
et que les chiffres donnés dans leur article ne permettent pas de déduire
les taux d’épisiotomies séparément pour les nullipares et
les multipares.
Les taux de déchirures sévères dans ces deux études
sont équivalents, alors que les taux d’épisiotomies sont de 34 et
4 %. Ce n’est donc pas l’épisiotomie qui protège le périnée.
Ces deux résultats sont tout aussi inconciliables que les résultats
d’Anthony et al. Lorsqu’une telle contradiction surgit, il n’y a que trois
issues logiques:
- Les données sont fausses, i.e. une proportion importante des déchirures
sévères n’est pas consignée dans les dossiers. A ce point
cela paraît improbable. - On ne pose pas la bonne question. Ce qui est vrai, la bonne question est
l’incontinence anale ou/et la douleur à long terme. Question bien plus
complexe que les déchirures visibles, et même que les déchirures
occultes détectées par endosonographie [799]. Si en effet les taux
de déchirures occultes en France sont de 20 à 40%, alors qu’on
pratique 50% d’épisiotomie, cette dernière ne semble pas protéger
de grand-chose. - L’échantillon statistique est hétérogène, ou il
y a des variables cachées non prises en compte, ce qui revient en fait au
même. L’échantillon statistique de de Leeuw et al. est
effectivement très hétérogène, regroupant toutes les
maternités et les accouchements à domicile. Comme le montre
Anthony et al., mais que de Leeuw et al. ne prennent pas la peine de discuter,
cela conduit à des résultats surprenants lorsque l’on regarde par
maternité. La pratique hollandaise et la pratique suédoise sont également
assez différentes. La pratique suédoise est particulièrement
respectueuse de la femme et du bébé, n’imposant pas une position
pour accoucher, n’imposant pas l’immobilité pendant le travail,
n’utilisant les drogues et la gestion active du travail que dans les cas réellement
pathologiques.
Dans leur étude statistique à grande échelle [755], de
Leeuw et collègues expliquent la non-convergence de leurs résultats
avec ceux d’autres études par le fait que les échantillons de ces
dernières seraient trop faibles (2883, 1000 et 2606 accouchements) pour
avoir une validité statistique. Toutefois, leur étude des facteurs
de risques de l’incontinence fécale [758] à laquelle vous vous référez
pour justifier un taux de 50% d’épisiotomies préventives, ne porte
en fait que sur 125 cas, à savoir 125 femmes qui ont eu une déchirure
du 3e ou 4e degré et se plaignent de douleurs rectales (40%),
d’incontinence fécale (31%), jusqu’à l’urgence (26%) ou avec
souillure (10%), en comparaison avec un groupe de contrôle de 125 femmes “normales”
qui n’ont pas eu de déchirure du 3e ou 4e degré, mais se plaignent
quand même de douleurs rectales (15%), d’incontinence fécale (13%),
jusqu’à l’urgence (6%) ou avec souillure (1%).
C’est donc sur ces 125 “matched pairs” que vos collègues
lancent une analyse multivariable … avec pour résultat, comme on
pouvait s’y attendre, des intervalles de confiance révélateurs de
cette méthodologie. Par exemple, le facteur de risque de souffrir
d’incontinence anale après une déchirure du 3e ou 4e degré
et une épisiotomie médiolatérale serait de 0.17 pour les
primipares, mais de 1.25 pour les multipares. Autrement dit, l’épisiotomie
aggraverait le cas des multipares et ne bénéficierait qu’aux
primipares. Or les chiffres sont fantaisistes, vu le faible nombre de cas, car
les intervalles de confiance à 95% sont de 0.05 à 0.61 pour les
primipares et 0.27 à 5.83 pour les multipares. Ce qui veut dire en clair
que 95% des multipares ayant subi une épisiotomie avaient entre 4 fois
moins et 6 fois plus de risques de souffrir d’incontinence anale après
cette déchirure… Certes, sur la moyenne, primipares et multipares mélangées,
en analyse monovariable, le facteur de risque serait de 0.38, soit 2.6 fois
moins de chances de souffrir d’incontinence anale. Mais on peut déchanter
en constatant que l’intervalle de confiance est de 0.15 à 0.91.
On s’étonne du manque de rigueur des auteurs et du referee,
ainsi que de leur manque de déontologie, puisque la conséquence de
leur conclusion est une intervention chirurgicale réelle sur une grande
proportion de la population, et non pas une discussion scientifique de salon.
Toutes les études précédentes reconnaissaient que les corrélations
ne sont pas significatives, donc que le bénéfice de l’épisiotomie
sur l’incontinence anale n’était pas prouvé.
Supposons maintenant que les conclusions de De Leeuw et collègues
soient exactes pour ce qui concene l’incontinence anale, et appliquons votre
proposition de faire bénéficier 50% des femmes d’une épisiotomie
préventive. Sur 78 femmes qui avaient souffert d’incontinence dans cette étude,
pratiquons rétrospectivement 39 épisiotomies. Parmi ces dernières,
39 x 0.38 = 15 souffriraient quand même d’incontinence, ce qui fait qu’on
en aurait “sauvé” 39 — 15 = 24.
On aurait sauvé 24 femmes de l’incontinence anale en épisiotomisant
50% des femmes sur 20 ans de pratique dans un hôpital… Compte tenu des
effets iatrogénes de cette intervention, où se situe le rapport bénéfice
/ risque ?
III. Conclusion : l’arbre et la forêt…
La somme des études publiées sur l’épisiotomie médiolatérale
prophylactique ne permet qu’une conclusion : elle ne protège pas le périnée
des déchirures complètes, ni n’en aggrave l’occurrence. En
d’autres termes elle est inutile. L’utilisation restrictive de l’épisiotomie
ne montre que des avantages, taux de périnées intacts ou avec déchirures
superficielles plus élevé, moins de douleur post-partum et de
dyspareunie, meilleur tonus musculaire, moins de besoin de suture, donc gain de
temps en salle de travail et économies pour la sécurité
sociale [792].
D’aprés l’enquête périnatale de 1998, environ au moins
60% des mères françaises ont eu le périnée coupé
au moins une fois. A cela s’ajoute le taux de césariennes, 17%. On en
arrive à un taux d’intervention chirurgicale de plus de 70% sur les mères
françaises. Croyez-vous sérieusement qu’un tel chiffre puisse être
justifié ? Croyez-vous vraiment que les femmes et les bébés
soient à ce point dénaturés qu’ils ne puissent plus
accoucher/naître sans nécessiter un recours massif à la
chirurgie ? N’avez-vous pas le sentiment d’appliquer le principe de précaution
à l’envers ?
Un arbre est malade dans une forêt, alors on abat toute la forêt
… Il est vrai qu’alors plus aucun des arbres ne risquera d’être malade.
Cordialement,
C. Loup, B. Bel, A‑M. Bosems, B. Poitel, B. Strandman.
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données de l’AFAR (https://afar.info).
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Sur l’arrêt Mercier
La responsabilité civile du médecin
Depuis l’arrêt MERCIER du 20 Mai 1936, il est acquis que le médecin passe un contrat avec son patient. C’est donc un échange des consentements qui préside à l’acte de soin. Cette jurisprudence est absolument constante.
… Attendu qu’il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant pour le praticien l’engagement sinon bien évidemment de guérir le malade… du moins de lui donner des soins, non pas quelconques… mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science… (Arrêt MERCIER, Cassation Civile 20 Mai 1936)
Le choix du fondement contractuel ou délictuel est important puisqu’il détermine la durée de la prescription de l’action en responsabilité. En matière contractuelle, la prescription est trentenaire alors qu’elle est de dix ans en matière délictuelle.
En France le contrat de soins est oral. Le support écrit est tout à fait exceptionnel et il n’est en aucun cas obligatoire. Les évolutions récentes en matière d’obligation d’informer devraient amener les médecins à modifier leurs habitudes …
L’arrêt MERCIER a également décrit la nature de l’obligation contractuelle consentie par le médecin : celui-ci s’engage à agir comme le ” bonus medicus ” qui est normalement prudent et diligent. Le médecin n’est pas tenu d’un résultat, il doit mettre ” les données acquises de la science ” au service de son patient. Sa responsabilité ne sera engagée que s’il manque à cette obligation. La jurisprudence n’a pas voulu mettre à la charge du soignant l’aléa inhérent à tout acte de soin.
Alliance Francophone pour l’Accouchement Respecté <https://afar.info>