Article du site des JTA (journées des techniques avancées en obstétrique, gynécologie et pédiatrie) — 1998 http://www.lesjta.com/article.php?ar_id=406
La controverse sur l’épisiotomie, ou faut-il continuer à prévenir les déchirures périnéales ?A. Pigné , X Fritel et P. MadelénatDes publications récentes remettent en cause la pratique de l’épisiotomie pour prévenir les déchirures périnéales. Les arguments apportés sont l’inefficacité de l’épisiotomie à prévenir les déchirures graves du périnée et des sphincters (1,2), une absence d’augmentation des taux de déchirures du 3e degré malgré une pratique restrictive de l’épisiotomie (3–7), une augmentation des douleurs périnéales en post-partum (4), une diminution de la force musculaire du périnée (4,8).Dans de nombreux travaux descriptifs, le taux de périnée complet est beaucoup plus important chez les patientes ayant bénéficié d’une épisiotomie (9–15). Ainsi, dans le travail de Shiono (enquête prospective sur 24114 accouchements d’un singleton en présentation céphalique de plus de 500 g), le taux de déchirure du 3e degré est de 0,2% en l’absence d’épisiotomie, de 1,8% en cas d’épisiotomie médio-latérale, et de 9,7% en cas d’épisiotomie médiane (15). L’auteur a réalisé une analyse multifactorielle intégrant les autres facteurs de risque de périnée complet : primipare, poids de l’enfant, périmètre crânien, âge et taille de la mère, forceps, variétés postérieures, race.En prenant en compte ces facteurs de confusion, l’épisiotomie médio-latérale divise par 2,5 le risque de déchirure du 3e degré chez la primipare (RR=0,4 avec IC95%:0,2–0,9), tandis que l’épisiotomie médiane le multiplie par 4 (RR=4,2 avec IC95%:1,8–10,0). Cette étude est confirmée par une autre enquête épidémiologique réalisée en Hollande et portant sur 43309 accouchements spontanés d’un singleton vivant en présentation occipitale antérieure survenus au cours de l’année 1990 (3).Dans ce travail, l’épisiotomie médio-latérale divise par plus de 4 le risque de survenue d’une déchirure du 3e degré (RR=0,22 avec IC95%:0,17–0,29) et 69% des périnées complets survenus en l’absence d’épisiotomie auraient pu être évités grâce à une épisiotomie médio-latérale (fraction de risque attribuable). D’autres enquêtes descriptives confirment le risque de périnée complet en cas d’épisiotomie médiane (4,8–12).Dans plusieurs travaux (3–7,16), dont trois études randomisées (4–6), une politique restrictive d’épisiotomie n’augmente pas significativement le taux de déchirures du 3e degré. On observe, en revanche, une augmentation significative des déchirures périnéales antérieures (5,6,16). Dans le West berkshire périnéal management trial (6), deux déchirures du 3e degré sont survenues dans le groupe où l’utilisation de l’épisiotomie était restreinte (498 patientes dont 10% d’épisiotomies), contre aucune dans le groupe où l’épisiotomie médio-latérale était utilisée pour prévenir toute déchirure (502 patientes dont 51% d’épisiotomies), la différence n’était pas significative.Dans les travaux randomisés comparant une utilisation restrictive de l’épisiotomie (éviter l’épisiotomie), à une utilisation libérale (éviter la déchirure) les auteurs n’analysent pas si la puissance de l’étude est suffisante pour mettre en évidence une différence (4–6). En supposant un risque de 2% de périnée complet en cas d’utilisation restrictive de l’épisiotomie, et en espérant une réduction de moitié de ce risque par une politique libérale de l’épisiotomie (1% contre 2%), il faudrait réaliser une étude randomisée incluant 4500 patientes dans chaque groupe pour avoir seulement 80% de chances de mettre en évidence cette réduction (17).En utilisant des hypothèses proches (0,6 contre 1,2% de déchirures du 3e degré, alpha=5% et béta=10%) Blondel et Kaminski montrent qu’il faut inclure 5100 patientes dans chaque groupe (9). La plus grande étude randomisée sur l’épisiotomie médio-latérale ne comporte que 1300 patientes dans chaque groupe (5).La douleur périnéale est plus importante en post-partum immédiat si l’on compare l’épisiotomie aux déchirures spontanées et aux périnées intacts (4). Mais la différence n’est plus retrouvée à distance de l’accouchement (16). Dans un essai randomisé qui compare une utilisation restrictive à une utilisation libérale de l’épisiotomie médio-latérale, il n’y a aucune différence 10 jours après l’accouchement (6).La reprise des rapports sexuels s’effectue plus tôt dans le groupe où l’on a essayé d’éviter l’épisiotomie, mais 3 mois après l’accouchement, 90% des patientes ont des rapports sexuels, sans différence entre les 2 groupes (6). Dans un essai quasi randomisé, comparant des patientes accouchées par des sages-femmes utilisant peu, modérément ou souvent l’épisiotomie, la douleur périnéale à distance de l’accouchement (15 à 24 mois) n’est pas liée à l’épisiotomie ou à la sage-femme, mais à la durée de la deuxième partie du travail (16).Deux à trois mois après l’accouchement, la force musculaire du périnée est diminuée en cas d’épisiotomie (4, 8). Mais cette différence n’est plus retrouvée ensuite (18, 19). Le seul essai randomisé qui a évalué la force musculaire périnéale, 3 mois après l’accouchement, ne retrouve pas de différence selon l’utilisation restrictive ou libérale de l’épisiotomie (4).En conclusion, on peut affirmer que l’épisiotomie médio-latérale protège du périnée complet, qu’il n’est pas prouvé qu’une utilisation restrictive n’augmente pas les taux de déchirures du 3e degré, que les déchirures périnéales antérieures augmentent en cas de politique restrictive, qu’il n’a pas été montré de différence à distance de l’accouchement sur les douleurs, les rapports sexuels, et la force musculaire du périnéeLa controverse sur l’épisiotomie, ou faut-il continuer à prévenir les déchirures périnéales ?
A. Pigné , X Fritel et P. MadelénatDes publications récentes remettent en cause la pratique de l’épisiotomie pour prévenir les déchirures périnéales. Les arguments apportés sont l’inefficacité de l’épisiotomie à prévenir les déchirures graves du périnée et des sphincters (1,2), une absence d’augmentation des taux de déchirures du 3e degré malgré une pratique restrictive de l’épisiotomie (3–7), une augmentation des douleurs périnéales en post-partum (4), une diminution de la force musculaire du périnée (4,8).
Dans de nombreux travaux descriptifs, le taux de périnée complet est beaucoup plus important chez les patientes ayant bénéficié d’une épisiotomie (9–15). Ainsi, dans le travail de Shiono (enquête prospective sur 24114 accouchements d’un singleton en présentation céphalique de plus de 500 g), le taux de déchirure du 3e degré est de 0,2% en l’absence d’épisiotomie, de 1,8% en cas d’épisiotomie médio-latérale, et de 9,7% en cas d’épisiotomie médiane (15). L’auteur a réalisé une analyse multifactorielle intégrant les autres facteurs de risque de périnée complet : primipare, poids de l’enfant, périmètre crânien, âge et taille de la mère, forceps, variétés postérieures, race.
En prenant en compte ces facteurs de confusion, l’épisiotomie médio-latérale divise par 2,5 le risque de déchirure du 3e degré chez la primipare (RR=0,4 avec IC95%:0,2–0,9), tandis que l’épisiotomie médiane le multiplie par 4 (RR=4,2 avec IC95%:1,8–10,0). Cette étude est confirmée par une autre enquête épidémiologique réalisée en Hollande et portant sur 43309 accouchements spontanés d’un singleton vivant en présentation occipitale antérieure survenus au cours de l’année 1990 (3).
Dans ce travail, l’épisiotomie médio-latérale divise par plus de 4 le risque de survenue d’une déchirure du 3e degré (RR=0,22 avec IC95%:0,17–0,29) et 69% des périnées complets survenus en l’absence d’épisiotomie auraient pu être évités grâce à une épisiotomie médio-latérale (fraction de risque attribuable). D’autres enquêtes descriptives confirment le risque de périnée complet en cas d’épisiotomie médiane (4,8–12).
Dans plusieurs travaux (3–7,16), dont trois études randomisées (4–6), une politique restrictive d’épisiotomie n’augmente pas significativement le taux de déchirures du 3e degré. On observe, en revanche, une augmentation significative des déchirures périnéales antérieures (5,6,16). Dans le West berkshire périnéal management trial (6), deux déchirures du 3e degré sont survenues dans le groupe où l’utilisation de l’épisiotomie était restreinte (498 patientes dont 10% d’épisiotomies), contre aucune dans le groupe où l’épisiotomie médio-latérale était utilisée pour prévenir toute déchirure (502 patientes dont 51% d’épisiotomies), la différence n’était pas significative.
Dans les travaux randomisés comparant une utilisation restrictive de l’épisiotomie (éviter l’épisiotomie), à une utilisation libérale (éviter la déchirure) les auteurs n’analysent pas si la puissance de l’étude est suffisante pour mettre en évidence une différence (4–6). En supposant un risque de 2% de périnée complet en cas d’utilisation restrictive de l’épisiotomie, et en espérant une réduction de moitié de ce risque par une politique libérale de l’épisiotomie (1% contre 2%), il faudrait réaliser une étude randomisée incluant 4500 patientes dans chaque groupe pour avoir seulement 80% de chances de mettre en évidence cette réduction (17).
En utilisant des hypothèses proches (0,6 contre 1,2% de déchirures du 3e degré, alpha=5% et béta=10%) Blondel et Kaminski montrent qu’il faut inclure 5100 patientes dans chaque groupe (9). La plus grande étude randomisée sur l’épisiotomie médio-latérale ne comporte que 1300 patientes dans chaque groupe (5).
La douleur périnéale est plus importante en post-partum immédiat si l’on compare l’épisiotomie aux déchirures spontanées et aux périnées intacts (4). Mais la différence n’est plus retrouvée à distance de l’accouchement (16). Dans un essai randomisé qui compare une utilisation restrictive à une utilisation libérale de l’épisiotomie médio-latérale, il n’y a aucune différence 10 jours après l’accouchement (6).
La reprise des rapports sexuels s’effectue plus tôt dans le groupe où l’on a essayé d’éviter l’épisiotomie, mais 3 mois après l’accouchement, 90% des patientes ont des rapports sexuels, sans différence entre les 2 groupes (6). Dans un essai quasi randomisé, comparant des patientes accouchées par des sages-femmes utilisant peu, modérément ou souvent l’épisiotomie, la douleur périnéale à distance de l’accouchement (15 à 24 mois) n’est pas liée à l’épisiotomie ou à la sage-femme, mais à la durée de la deuxième partie du travail (16).
Deux à trois mois après l’accouchement, la force musculaire du périnée est diminuée en cas d’épisiotomie (4, 8). Mais cette différence n’est plus retrouvée ensuite (18, 19). Le seul essai randomisé qui a évalué la force musculaire périnéale, 3 mois après l’accouchement, ne retrouve pas de différence selon l’utilisation restrictive ou libérale de l’épisiotomie (4).
En conclusion, on peut affirmer que l’épisiotomie médio-latérale protège du périnée complet, qu’il n’est pas prouvé qu’une utilisation restrictive n’augmente pas les taux de déchirures du 3e degré, que les déchirures périnéales antérieures augmentent en cas de politique restrictive, qu’il n’a pas été montré de différence à distance de l’accouchement sur les douleurs, les rapports sexuels, et la force musculaire du périnée
Note de Cécile Loup
http://fr.groups.yahoo.com/group/Re-Co-Naissances/message/1674
La note bibliographique de Mrs Fritel, Pigne, et Madelenat, “La
controverse sur l’épisiotomie, ou faut-il continuer à prévenir les
déchirures périnéales”, date de 1998 et nécessiterait une remise
à jour.
Nous avons eu une discussion détaillée à ce sujet avec le Pr. Mellier.
Plutôt que de la retranscrire à nouveau nous vous invitons à la lire,
ainsi que les références qui y sont citées :
https://afar.ws/presse/mellier/ [lien mis à jour/2012: Article Le Généraliste 2004]
En résumé, si l’on regarde la globalité des études ayant examiné l’effet
de l’épisiotomie médiolatérale sur les déchirures du 3e et 4e degré, son
effet est négligeable, elle ne prévient ni n’en aggrave la fréquence. La
pratique de l’épisiotomie restrictive comporte beaucoup plus
d’avantages que d’inconvénients, pour les femmes en premier lieu,
mais aussi pour les praticiens et la sécurité sociale (moins d’actes de
suture).
D’une façon générale dans votre note, ne discuter des déchirures sévères
qu’à la lumière de l’épisiotomie, sans une vue globale des différents
facteurs de risque, n’a guère de sens. Les facteurs de risque
bien identifiés sont : (i) la nulliparité et la taille du bébé,
caractéristiques foeto-maternelles qui sont ce qu’elles sont; (ii) la
position lithotomique et les poussées dirigées (voir par exemple
l’intervention du Dr. B. Maria dans Enfant magazine, No 336, août 2004,
p.9); (iii) toutes les extractions assistées, forceps, ventouse,
expression abdominale; (iv) l’usage de syntocinon dans un déclenchement
ou pour accélérer le travail. Certaines de ces pratiques sont quasi
systématiques en France, d’autres sont en nette augmentation depuis 40
ans. Ne pensez-vous pas que pour protéger le périnée des femmes il
serait plus judicieux de s’interroger sur ces pratiques au lieu de
couper systématiquement ?
Vous dites : “il n’est pas prouvé qu’une utilisation restrictive de
l’épisiotomie n’augmente pas les taux de déchirures du 3e degré”.
C’est prendre la méthodologie scientifique à l’envers. Environ 60% des
mères françaises ont subi une épisiotomie au moins une fois.
C’est une intervention chirurgicale, coupant la muqueuse vaginale, la
fourche, et les faisceaux musculaires. On n’impose pas une
intervention chirurgicale à une proportion aussi importante de la
population d’un pays sans avoir prouvé que les bénéfices sont très
nettement supérieurs aux inconvénients. C’est dans ce sens que la
preuve doit être faite. Si même cela sauvait quelques pour
mille femmes de déchirures du 3e et 4e degré, on ne pourrait qu’en
déduire que l’épisiotomie prophylactique est particulièrement
inefficace.
Vous dites aussi qu’il n’a pas été montré de différence à moyen terme
dans la douleur, la dyspareunie, le tonus du périnée. Une étude
italienne récente et bien étudiée méthodologiquement vous contredit :
“Mediolateral episiotomy does not protect against urinanry and anal
incontinence and genital prolapse and is associated with a lower pelvic
floor muscle strenght compared with spontaneous perineal lacerations and
with more dyspareunia and perineal pain.” [à 3 mois post-partum].
(Sartore et al, Obstet Gynecol 2004;103(4):669).
Quel est le taux de “ratées” des épisiotomies médiolatérales réalisées
en France ? Par “ratées” nous entendons : sutures sans anesthésie,
mauvaise incision (sectionnant un nerf par exemple), mauvaise suture
induisant des nodules ou rétrécissant l’entrée du vagin, douleurs et
dyspareunie à long terme (des années), difficultés graves dans le
couple traumatisé par cette intervention extérieure brutale dans leur
intimité. On ne trouve pas ces chiffres dans les publications. Par
contre nous entendons trop souvent des témoignages pénibles, le plus
éloquent d’entre eux étant le silence, l’impossibilité à le dire.
En parlant avec les générations précédentes, on réalise qu’il n’était
pas trop question d’anesthésie, et qu’on suturait avec des agrafes, le
tout avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui, et la même minimisation
des conséquences de l’acte. Ce taux de “ratées” est certainement
supérieur à celui des femmes qui seraient hypothétiquement protégées
d’une déchirure du 3e degré. La balance bénéfices-risques penche très
nettement en faveur de l’abandon de l’épisiotomie prophylactique.
Pour finir, nous nous permettons de rappeler à nouveau que ce n’est pas
au praticien de décider si ce périnée-ci doit être coupé ou pas. C’est
la femme à laquelle ce périnée appartient qui décide. Les
femmes en couche ne sont pas informées correctement des risques et des
bénéfices de cet acte dont les conséquences sont très sous-estimées.
Pire, l’acte est effectué en se cachant de la femme. C’est ainsi que
obstétriciens et sages-femmes sont formés. Le principe fondamental du
consentement éclairé semble particulièrement surréaliste dans le domaine
de l’obstétrique. Pratiquer une intervention chirurgicale, surtout dans
un endroit aussi sensible et chargé de sens, sans le consentement
de la personne, est une atteinte à l’intégrité physique et mentale.
C’est de plus illégal depuis le mois de mars 2002 comme vous le savez
(article L 1111–4 du code de santé publique).
Cordialement,
Cécile Loup pour :
AFAR, Alliance Francophone pour l’Accouchement Respecté
http://www.afar.info
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